Questions à Jacques Ferrier - Ferrier Marchetti Studio
#Architectes Publié le 28 septembre 2020 par Noémy MAHEO
Avec son associée Pauline Marchetti, Jacques Ferrier allie recherche et pratique pour une « ville sensuelle » fondée sur une architecture durable, frugale, attentive à ses usagers. Déployée au fil des projets depuis plus d’une décennie, cette démarche fournit notamment des outils pour penser et tirer des leçons de la crise sanitaire.
Jacques Ferrier, y a-t-il une œuvre, une personne, un bâtiment qui ont fait pour vous rencontre avec l’architecture ?
Jacques Ferrier : Dans les années 1970, je terminais mes études de mathématiques, la Californie me faisait rêver, et j’ai découvert la maison de Ray et Charles Eames, à Los Angeles. Quand j’ai appris que le couple l’avait entièrement repensée lors de sa construction, j’ai trouvé génial ce métier d’architecte : un pied dans la technique, l’autre dans l’invention et, au final, la porte ouverte à une grande liberté créative. Mon diplôme de Centrale en poche, j’ai alors enchaîné sur des études d’architecture dans un état d’esprit nourri des sixties américaines – le rapport à la nature, la transparence, le lien intérieur/extérieur, un optimisme bercé par la vision d’une innovation bénéfique… –, à contre-courant de la pensée architecturale française de l’époque. J’ai passé les deux années qui ont suivi ma sortie de l’École (Paris-Belleville) chez Norman Foster, à Londres, où régnait l’idée d’une technique « joyeuse », avant de créer véritablement mon agence en 1993.
En quoi le Pavillon France de l’exposition universelle de Shanghaï (2010) et le laboratoire de prospective urbaine Sensual City Studio ont-ils inauguré une nouvelle orientation dans votre pratique ?
Jacques Ferrier : Dès 2000, le siège social de Total Énergie, lauréat d’un prix européen d’architecture durable, était emblématique d’une quête de frugalité consubstantielle à l’architecture. Le pavillon de Shanghaï allait au-delà : l’architecture durable, oui, mais pour quel mode de vie dans la cité ? Il signait la reconquête d’un plaisir urbain, le fait de « prendre les cinq sens aux sérieux », mais à l’échelle métropolitaine. Cette démarche de la « ville sensuelle » oriente, depuis, notre travail.
C’est le cas, par exemple, du siège de la Métropole Rouen Normandie. L’innovation de sa façade photovoltaïque et iridescente, inspirée de l’impressionnisme de Monet, résonne avec une façon d’être comme de travailler dans ce bâtiment ; l’esthétique de l’utile s’enrichit d’une dimension poétique. Au parc aquatique Aqualagon, le visiteur accède à une expérience supplémentaire : l’enveloppe elle-même constitue un seuil entre la vue captive de la « bulle » que forme le bâtiment et l’expérience du grand paysage. Tout récemment, Grand Central Saint-Lazare, dont l’enveloppe puise aussi dans la palette chromatique impressionniste, montre la ville qui se reconstruit sur la ville ; le nouveau bâtiment propose une façon nouvelle de travailler avec, notamment, des extérieurs partagés ; il restitue aussi au public un passage jusqu’alors privé. Une idée développée avec le « jardin pont » du projet de la Porte des Ternes, qui lie des bâtiments et des espaces mixtes et évolutifs pour ouvrir à de nouvelles façons de vivre ensemble dans la ville.
Dans un article récent, « La ville dense a trahi ses habitants »*, vous soulignez non seulement la responsabilité des métropoles dans la pandémie de Covid-19 mais aussi leur incapacité à prendre soin de leurs habitants. Depuis la sortie du confinement, vos recherches ont produit deux publications : « Habiter, enrichir, habiter » et « Le balcon : éloge du déjà-là »**. Quelles pistes dessinez-vous ?
Jacques Ferrier : Cette crise sanitaire n’est qu’une manifestation de ce que pourrait être une crise des métropoles. Elle incite à remettre en question la ville hyper-dense comme valeur absolue pour privilégier plutôt l’intensité de vie urbaine, la porosité entre les fonctions et les espaces, ce que j’appelle le « micro-urbanisme ».
Le confinement a marqué un coup d’arrêt au zapping, à l’accélération permanente, qui nous font oublier les qualités propres à chaque espace. Il a aussi montré combien l’immeuble collectif est très peu partageur et gagnera à l’être bien davantage. La difficulté à trouver chez soi un lieu où télétravailler durablement doit pousser à questionner la singularité des espaces et à les recombiner. J’espère que les opérateurs vont rapidement repenser le logement, comme ils ont largement repensé, ces dernières années, les espaces de travail des immeubles tertiaires.
Jacques Ferrier, que vous inspirent les évolutions technologiques autour des ouvertures et des fenêtres ?
Jacques Ferrier : La technologie ne m’intéresse que si elle permet à l’usager de reconquérir son espace et son environnement, si elle est appropriable et contrôlable à la plus petite échelle qui est celle de la main, de la respiration, du regard. Il y a là un champ d’invention formidable pour les industriels !
*Sur le site metropolitiques.eu **Disponibles sur le site de l’agence : ferriermarchetti.studio/fr Dernièrement paru : A History of Th resholds. Life, Death & Rebirth. Sensual City Studio, Jovis, Berlin, 2018, 184 p., 32 €.
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