Bruno Léger : Un parcours inspirant. Interview
#Fabricants Publié le 2 juin 2021 par Stéphanie Dreux-Laisné
Né de concert avec les années 60 et immergé dans l’univers de la menuiserie depuis 1989 après un bref passage dans l’informatique, Bruno Léger, lyonnais d’origine, nantais d’adoption, est un passionné passionnant. A l’occasion de la passation de pouvoir chez K.LINE à Olivier de Longeaux, nous avons souhaité revenir sur le parcours inspirant de cet homme visionnaire et impliqué, devenu en trois décennies, une figure emblématique de la profession. Rencontre.
Le parcours de Bruno Léger
Après 10 ans passés chez Technal en tant que Responsable Marketing, Directeur Produit puis patron de la filiale France, il connaît très rapidement toutes les facettes du métier de gammiste et se passionne pour le renouvellement des gammes et le déploiement de la stratégie de développement des réseaux. Il confiera d’ailleurs à L’Echo de la Baie lors d’une interview en 2009 « J’ai beaucoup appris chez Technal, j’ai évolué dans un environnement propice à la structuration du raisonnement. » Mais comment arrive-t-on dans la menuiserie sans prédispositions familiales pour ce secteur avec un diplôme de HEC en poche et une vocation certaine : celle de devenir patron d’entreprise ? Tout est venu d’un cas d’étude, à HEC justement, dans lequel il s’agissait d’élaborer une stratégie de communication pour Technal : « Je suis entré dans l’univers de la fenêtre par ce cas passionnant » nous expliquait-t-il en 2009.
Un début de carrière dans des années difficiles (1993-1996) lui permet d’apprendre très vite à réfléchir et surtout à prendre les bonnes décisions au bon moment. Lorsque Technal s’adosse à un fond d’investissement américain, Bruno Léger rejoint le groupe Lapeyre en prenant les rênes de l’entreprise Oxxo dans laquelle il découvrira le PVC et la menuiserie industrielle. Puis, entrée chez Orfite, fonds d’investissements lyonnais, pour découvrir le monde de la finance et des investisseurs d’entreprise. Il participera d’ailleurs à plusieurs LBO dans l’univers de la menuiserie. En 2003, André Liébot, rencontré plusieurs années auparavant, lui propose de rejoindre le groupe Briand (devenu ensuite le groupe Liébot) en tant que Directeur Général adjoint du groupe et Directeur Général de K.LINE. Son profil s’étoffe, il affute son expertise technique de l’aluminium, sa maîtrise de la fabrication industrielle et son expérience financière et entre ainsi dans le groupe familial Liébot dans lequel il s’est toujours épanoui. Il exerce ainsi le métier dont il rêvait dans un univers caractérisé par l’innovation technique et la richesse des relations humaines avec partenaires, clients et salariés d’une entreprise vendéenne dynamique. Il travaille très étroitement et en parfaite complicité avec André Liébot, une des personnalités charismatiques de la profession.
Il apprécie les prises de décision rapides, l’application concrète de ces décisions et la stabilité stratégique de la part de dirigeants expérimentés au sein d’un groupe multi-marchés et multi-matériaux doté d’une belle capacité à investir. K.LINE qui réalisait en 2003 un chiffre d’affaires de 55 M€, dépasse aujourd’hui les 400 M€ (650 M€ pour le groupe Liébot).
Au fil des années, l’ETI vendéenne a pris la première place du podium du marché de la fenêtre en France et a largement contribué à l’évolution de la fenêtre aluminium. De quoi laisser rêveurs les plus audacieux.
Homme de décision, visionnaire, avec une capacité presque surhumaine d’être partout en même temps, habitué à analyser les problèmes avec 10 idées ou solutions à la minute, paré aux turbulences, il fédère et entraine l’adhésion des équipes et partenaires et sait (évidemment) bien s’entourer. Fort de ses atouts, il devient tout naturellement Président du SNFA en 2015 et en assure aujourd’hui, plus que jamais, la fonction fédératrice de la profession des produits aluminium pour le Bâtiment. Peu disert sur sa vie personnelle, on lui connaît tout de même une passion pour le golf, la marche, le bateau et les voyages et une bienveillance attentive et rapprochée à l’égard de ses quatre enfants, au côté de son épouse Stéphanie. Mais Bruno Léger revient toujours à son métier, l’entreprise, ses projets, sa passion pour le produit, la technique et les relations humaines qui en font la richesse.
Sa façon à lui de faire du business est de nouer des liens étroits avec les professionnels de son univers, dans l’environnement serein d’un groupe familial qu’il a su faire prospérer tout en assurant son épanouissement personnel. La relation humaine est au cœur de son métier dont il dit qu’il est « le plus beau du monde ! ». Interview.
L’Echo de la baie : Bruno Léger, quels ont été les moments les plus intenses de votre carrière ? Quel a été votre challenge le plus marquant ?
Bruno Léger : Les moments les plus intenses sont associés à des périodes de gestion de crises. Deux m’ont particulièrement marqué : celui qui a suivi l’incendie de Ouest Alu en 2006, car il a fallu reconstruire l’usine tout en continuant à livrer les clients en fenêtres et façades et, la seule crise qui peut être comparée en intensité à celle-ci, est celle générée par le premier confinement de mars 2020 où toutes les usines se sont arrêtées brutalement. S’en est suivi une formidable aventure humaine où tous les acteurs de la profession se sont unis pour mettre en place ensemble une stratégie de redémarrage de nos usines, tous portés par la force de l’esprit collectif. Ce sont ces sursauts collectifs mémorables qui nous ont permis de sortir grandis de ces chaos.
Par ailleurs, la constitution des différents projets de l’entreprise K.LINE, en collaboration avec l’équipe dirigeante, ont représenté des moments intenses d’échanges et de réflexion. Nous avons conçu ensemble l’histoire et l’avenir de K.LINE. A titre personnel, l’élaboration des « Keynotes » conçues en 2017 et 2019 à propos de nos innovations, a été un véritable challenge : exprimer ces innovations sous cette forme a constitué un formidable exercice qui a été inventé par un de mes maîtres à penser, Steve Jobs. Ces Keynotes ont été des moments intenses de préparation et de réalisation. Il a fallu le faire !
Quel a été le challenge le plus marquant ?
Bruno Léger : Le challenge le plus marquant a été sans hésiter la création de notre nouvelle usine Lima. Dès mon arrivée, j’ai participé à la création aux Herbiers de Prima 2 (usine de fabrication de fenêtres), Prima 3 (portes d’entrée) et Prima 4, mais Lima (située près de Lyon) représentait une autre dimension car, d’une part les investissements étaient beaucoup plus importants (80 M€), et d’autre part notre ambition d’automatisation était beaucoup plus forte ! Rappelons que nous avons totalement intégré et automatisé la chaîne de laquage dans le flux du process de fabrication. L’usine Lima a été un triple challenge : un challenge en termes d’automatisation et de transitique mais aussi un challenge informatique et un challenge humain. En effet, et ceci représente une difficulté supplémentaire : il a fallu constituer toutes les équipes d’encadrement et de production. Trois ans après, Lima fait travailler pas moins de 500 personnes.
C’est un projet colossal de conception et de construction qu’il a fallu mener dans sa totalité : de l’achat du terrain à la constitution des équipes, mais on peut dire aujourd’hui que Lima est un succès. C’était un très grand pari.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
Bruno Léger : Je suis fier du parcours de K.LINE depuis 17 ans qui est devenu le leader de la fenêtre en France. C’est une magnifique aventure qui a généré plus de 1500 emplois sur cette période (en CDI). Nous sommes très fiers d’avoir rendu l’aluminium accessible et de l’avoir diffusé sur tous les marchés et dans toutes les régions. « L’alu pour tous » a été notre devise durant toutes ces années. Avant, il était réservé au tertiaire et à un habitat résidentiel haut de gamme ; K.LINE a démocratisé l’aluminium en France.
Cet élément contribue à conférer au marché français une originalité. On peut parler d’un nouveau standard de fenêtre : une fenêtre performante, à ouvrant caché, très fine, qui optimise les apports lumineux, proposée à un prix très compétitif. Elle constitue, avec d’autres offres innovantes d’acteurs de la menuiserie, une caractéristique forte du marché français, ce qui participe à la défense de nos marchés face à la concurrence étrangère. Plus le marché est innovant et performant, plus il est difficile de le concurrencer.
Avez-vous des regrets ?
Bruno Léger : L’un de mes regrets est que, malgré tous nos efforts, il est encore compliqué de choisir, d’acheter et de se faire poser des fenêtres en France. Les industriels et les gammistes ont créé et développé de magnifiques réseaux de distribution, ce qui constitue encore une des spécificités de notre pays, mais néanmoins la démarche qui consiste à obtenir un devis rapidement, de trouver le bon produit adapté à sa situation, de trouver le bon installateur qui donnera le bon conseil et assurera une pose faite dans les règles de l’art, reste encore aujourd’hui compliquée. Il faut trouver le moyen de changer cela.
Ce constat est lié aussi au fait que l’innovation dans le monde du bâtiment met du temps à être diffusée largement.
A quoi attribuez-vous le succès de K.LINE ?
Bruno Léger : Nous avons une méthode qui nous a bien réussi qui est de constituer collectivement un vrai Projet d’Entreprise. Tous ensemble, avec le comité directeur, nous concevons notre vision de l’entreprise, nous la déclinons en défis puis en projets et nous emmenons toute l’entreprise avec nous vers des objectifs clairs, multiformes, tout en écoutant et en impliquant nos clients. Étant une entreprise familiale, nous prenons le temps de dérouler les défis et les projets en les alliant avec des prises de décision rapides. Nous nous fixons un cap et nous le tenons sans changer d’avis. C’est notre recette.
Toute l’entreprise est concernée et impliquée dans nos projets. Leur exécution se déroule dans le temps avec une forte implication et un esprit collectif. Ils s’inscrivent dans la durée et sont de façon permanente connectés au marché.
Que diriez-vous au jeune homme que vous étiez quand vous fréquentiez les classes de HEC ?
« Stay hungry, stay foolish », (« Soyez insatiable, soyez fou »), pour le clin d’œil à Steve Jobs…
J’ai une crainte concernant les jeunes générations zapping et j’aimerai leur transmettre le goût du collectif et de la durée en leur disant : « Ne jouez pas perso, ne soyez pas individualiste et prenez le temps d’aller au bout de ce que vous entreprenez. »
Je crains que le phénomène soit accentué par cette période de télétravail, les personnes deviennent de plus en plus individualistes. Ce que nous avons démontré au travers de cette réussite de K.LINE, c’est tout le contraire : nous prenons le temps d’exécuter tous ensemble la feuille de route que nous nous sommes fixée, nous avons des équipes stables et nous allons au bout de nos idées sans rien lâcher. La réussite collective dans un projet est extrêmement gratifiante. Il faut du temps pour que les projets se développent et réussissent, pour cela il faut cultiver le sens du collectif.
Comment imaginez-vous la fenêtre de demain ?
Je l’imagine très bien puisqu’elle est dans notre show-room et chez nos clients ! (rires). En 5 ans, K.LINE a changé les fonctionnalités de la fenêtre. Tous les produits frappes, portes et coulissants sont connectés et motorisés. Ceci participe à faire rentrer la fenêtre dans un rôle totalement nouveau : elle ventile, elle se pilote à distance, elle sécurise la maison (capteurs), et récemment, elle est entrée dans l’univers de la santé en gérant la qualité de l’air intérieur de la maison ou du bâtiment. C’est une nouvelle révolution de la fenêtre et comme toute innovation, elle va mettre du temps à se diffuser au plus grand nombre, ce qui correspond à notre nouveau challenge. Ses nouvelles fonctionnalités sont accessibles car c’est notre ADN, notre raison d’être. Le fondement de K.LINE est de rendre accessible l’innovation dans la fenêtre.
Quelle est votre vision du marché à l’horizon 2030 Bruno Léger?
Nous devons simplifier la démarche du particulier qui souhaite changer ses fenêtres. Il nous faut pour cela utiliser les nouveaux outils qu’offrent internet et le smartphone, en collaboration avec les installateurs et les réseaux, c’est-à-dire en s’inscrivant dans une démarche « phygitale ». L’objectif est bien de faciliter les projets et la vie du consommateur en améliorant la mise sur le marché de nos produits par le biais de l’omnicanal. K LINE annoncera bientôt des initiatives en la matière.
Quels seront, selon vous, les enjeux de la prochaine décennie ?
Les grands enjeux de ces dix prochaines années seront la décarbonation des matériaux, encouragée par la RE2020, et le recyclage de la matière en boucle fermée qui devra donc être réutilisée dans le même domaine d’application : la fenêtre. A court terme la décarbonation de l’aluminium dans la menuiserie a été initiée par la démarche Alu+C- , démarche commune au SNFA et au GFA. En ce qui concerne la traçabilité du recyclage de l’aluminium, qu’il s’agisse des chutes d’aluminium provenant de nos usines ou des produits de fin de vie, l’aluminium récupéré a une valeur encore faut-il que nous nous occupions dans la profession de tracer cet aluminium pour qu’il revienne dans notre métier. A moyen terme, des recherches sont en cours pour réduire l’émission de carbone issue de l’électrolyse (procédé de production de l’aluminium à partir de l’alumine) à presque rien. Si cela voyait le jour l’aluminium serait un matériau à très faible émission de carbone, et indéfiniment recyclable. Le matériau parfait.
Lors d’une interview accordée à L’Echo de la Baie en 2009, vous disiez que « le bonheur, c’est le chemin », plus d’une décennie après avez-vous toujours la même devise ?
Elle est d’autant plus vraie aujourd’hui, le bout du chemin professionnel se rapprochant, il faut réellement profiter de tous les instants car c’est la richesse des contacts quotidiens avec l’ensemble des équipes du groupe Liébot et les échanges conviviaux et amicaux que nous entretenons avec les confrères de la profession qui participent à cet épanouissement personnel et professionnel.
Olivier de Longeaux a pris le relais de la direction générale de K.LINE, cela procure quel sentiment chez vous ?
J’ai souhaité et proposé aux actionnaires, la famille LIEBOT, son embauche, car la roue tourne et il faut préparer l’avenir afin que la belle aventure K.LINE puisse continuer de façon pérenne. Je suis très content de lui passer le relais car, en dehors de la sympathie que je lui porte, nous partageons les mêmes valeurs. J’ai eu la chance de rencontrer cet homme que j’apprécie énormément ce qui apaise le petit pincement au cœur que je peux parfois ressentir, cela me permet de passer cette étape plus sereinement. Par ailleurs, j’ai enfin plus de temps à consacrer aux autres filiales du Groupe, en France et à l’international !
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