Parole d’archi : Philippe Prost, Atelier d’Architecture Philippe Prost AAPP

#Architectes Publié le 28 octobre 2024 par L'Echo de la Baie

« Tisser des liens entre les époques et les usages, entre l’architecture et son contexte, entre la mémoire et la création, entre les savoir-faire et les innovations » ; défendre « l’architecture une et indivisible » contre le démembrement qui dissocie architecture contemporaine de l’architecture ancienne, contre la « fragmentation » tous azimuts qui participe à lui faire perdre son âme pour « ne devenir qu’un produit de consommation comme les autres ». Tel est le Manifeste que met en pratique depuis plus de 20 ans le Grand Prix national d’architecture 2022, au nom de « La Mémoire vive », titre de l’exposition que lui consacre la Cité de l’architecture*. Rencontre avec Philippe Prost.

Vous vous destiniez à la musique. Comment avez-vous bifurqué vers l’architecture ?

Philippe Prost : « Je jouais de l’orgue – un instrument pas tout à fait comme les autres, notamment du fait qu’il prend place dans un bâtiment. Mes parents estimaient que la musique n’était pas un domaine très propice à gagner sa vie. Mon professeur de piano m’avait parlé de son frère, architecte ; ça m’a intéressé. Je me suis donc inscrit en études d’architecture, à ce qui était alors l’UP3 de Versailles.
Au fil des années, des enseignants m’ont transmis le virus : Philippe Panerai, Henri Gaudin, Henri Bresler… et l’architecture a pris le dessus sur la musique. Nous étions à la fin des années Soixante-dix, à l’heure des débats et de la pratique de la table rase ; c’est peut-être de là qu’est né ce qui n’a pas cessé de m’occuper depuis : l’idée qu’architecture et patrimoine forment un tout, un et indivisible, un patrimoine vivant au sens culturel que lui a donné plus tard l’Unesco. »

En quoi votre premier projet, la Citadelle Vauban de Belle-Île-en-Mer, est-il fondateur de votre pratique ?

P. P. : « La rencontre avec les propriétaires de la citadelle, André et Anna Larquetoux, se produit lors d’un colloque auquel j’interviens. Je suis alors un jeune chercheur, avec une thèse d’urbanisme en cours sur l’architecture militaire, passionné par Vauban et le travail de ces ingénieurs intervenant sur plusieurs échelles : la forteresse en tant que bâtiment, mais aussi la ville et le territoire. Après l’UP3, les cours de l’École de Chaillot ont conforté mon goût pour l’histoire, la construction et la conservation des monuments anciens.
Lui-même ingénieur, à l’origine de brevets dans la construction, André Larquetoux m’a proposé de passer à la pratique en menant la restauration mais aussi la transformation de la citadelle dans le cadre de son ouverture au public. Non seulement ce projet m’a mis le pied à l’étrier pour monter mon agence mais c’est une chance extraordinaire d’avoir pu pratiquer ce chantier au long cours – 15 ans –, un chantier-univers, qui vit et se transforme sous nos yeux… »

« La Mémoire vive », titre de l’exposition dédiée à votre travail par la Cité de l’architecture, évoque une continuité temporelle. Que souhaitez-vous transmettre ?

P. P. : « Cette exposition parle de la mémoire des lieux et des choses, des gens, de la manière dont les architectures sont toujours en transformation, comme les villes, et de comment cette mémoire nourrit notre création, du moins la mienne. Pour lui donner pleinement ce sens, nous avons décidé, avec la Cité de l’architecture, qu’elle se déploierait dans les collections permanentes, depuis les moulages des époques romane et gothique jusqu’aux maquettes contemporaines.
Les projets de l’atelier s’y exposent selon différentes thématiques : l’architecture militaire, l’archéologie, la préfabrication, le rapport entre les matériaux et les lieux… Elle se conclue par des interventions menées sur deux territoires : le bassin minier du nord de la France, avec notamment la Cité des Électriciens, et le cap d’Antibes, avec le Port Vauban. Ces projets illustrent qu’un processus créatif opère de la même manière que l’on soit au Nord ou au Sud, suivant un processus d’itération, d’enquête, de recherche d’éléments qui nourrissent le projet et le font se développer.

Comment cet abord patrimonial vous conduit-il à traiter les menuiseries ?

P. P. : « Bien souvent, les siècles passés nous ont légué des ouvrages de menuiseries remarquables. Je pense à l’hôtel Richer de Belleval, à Montpellier, dont certaines menuiseries remontaient au XVIIe siècle. Nous avons eu la chance de pouvoir les conserver, les démonter, les remonter, les compléter, et remplacer par des menuiseries neuves celles qui ne présentaient pas de qualité historique. Les menuiseries sont souvent les premiers ouvrages à partir à la benne, pour des raisons de normes thermiques, alors qu’elles témoignent d’une excellence certaine et qu’on a parfois la possibilité de les conserver en leur associant, par exemple, une deuxième menuiserie.
Dans les projets contemporains, on demande aux menuiseries d’avoir réponse à tout : la thermique, les ultraviolets, l’acoustique, le free cooling… C’est devenu un ouvrage extrêmement technique qui doit répondre à une multiplicité de critères ; un ouvrage passionnant, dont je crains que le niveau de performances exigé fasse qu’on est très loin du durable, au sens où ce niveau d’excellence interdirait de pouvoir la faire évoluer dans le futur comme il m’est arrivé de pouvoir faire évoluer des menuiseries anciennes.
Comment imaginer des menuiseries qui atteignent des niveaux de performances exceptionnelles mais que l’on pourrait réparer, reprendre, faire évoluer ? Comment fait-on pour que ce produit industriel puisse se transformer, être réparé ? C’est pour moi LA question d’avenir pour les fabricants de menuiserie.

* La Mémoire vive. Philippe Prost, architecte. L’exposition : jusqu’au 23 mars 2025. Cité de l’architecture et du patrimoine, place du Trocadéro, Paris 16e. Le livre : Francis Rambert (dir) ; Rubén Ángel Arias Rueda, Jean-Philippe Hugron, Francis Rambert, Raphaëlle Saint-Pierre, William Van Andringa ; direction artistique, Aitor Ortiz, photographe. Coédition Cité de l’architecture et du patrimoine/Norma, Paris, octobre 2024.

L’article dans le magazine L’Echo de la baie :

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