Rencontre avec Emmanuelle Patte, Méandre Etc’

#Architectes Publié le 21 février 2024 par L'Echo de la Baie

Persuadée que « la qualité architecturale ne saurait être atteinte sans dimension environnementale », Emmanuelle Patte explore depuis plus de 20 ans avec l’équipe de l’agence Méandre Etc’ les façons de construire et faire vivre des bâtiments bioclimatiques. Rencontre avec une défricheuse de solutions.

Emmanuelle Patte, comment avez-vous rencontré l’architecture ?

Emmanuelle Patte : Par les jeux de mon enfance… J’étais en « mode projet » quand il s’agissait de fabriquer des maisons de poupée, des accessoires divers et variés ! J’ai toujours aimé fabriquer des objets ; les ateliers d’artisans devant lesquels je passais pour aller à l’école, dans le quartier de la Butte-aux-Cailles à Paris, y sont probablement pour quelque chose.
Mon métier d’architecte s’est imposé à moi, poussée par mon appétit à transformer mon environnement. Cela a commencé avec un atelier de modelage aux Arts Décos, qui m’a conduit plus tard à enseigner cette technique, ce qui m’a permis de financer mes études d’archi… À l’époque, l’UP4 était assez patriarcal et dominé par l’idée de l’architecte qui produit un geste ; pour ma part, j’étais plus intéressée par la fabrication. J’ai alors rejoint l’UP6 où enseignaient les Alexandroff, Jeanne-Marie et Georges, et David Georges Emerich, un hongrois passionnant qui enseignait sur la morphologie structurale, la résistance de la forme et tout ce que mobilise, par-delà les matériaux eux-mêmes, le fait de les assembler. C’est par l’ingénierie que j’ai débuté, embauchée à Manhattan pour réaliser les maquettes d’un bureau d’études spécialiste des structures autotendantes de grande portée. J’ai ensuite travaillé sur des chantiers. J’y ai côtoyé un management qui ignorait la dichotomie entre intellect et manuel, j’ai fait mes premiers pas à dessiner les plans techniques de phasage, d’exécution des façades. Quand je suis revenue en France, j’ai poursuivi là encore chez des architectes de la structure : Mimran, Calatrava…

En 1998, vous cofondez l’agence en vous intéressant dès le départ aux questions environnementales. D’où vient votre engagement pour l’architecture bioclimatique ?

E. P. : Il puise dans mes racines : un père biologiste chercheur au CNRS et militant de la nature, un grand-père paléontologue qui n’hésitait pas à habiter dans les grottes où le conduisaient ses fouilles, une mère pédiatre qui répétait « ouvrez les fenêtres ! ventilez ! ». Ces influences m’ont donné une relation à la science et à la réalité du changement climatique quand on n’en observait que les prémices.
À la fin des années 90, le discours s’amplifie sur le Développement durable et ce sont les débuts de la certification HQE. Parmi les premiers travaux de l’agence figure une rénovation avec isolation chanvre et chaux, premier ERP avec des biosourcés.. Dès cette époque, je rejoins l’Institut pour la conception écoresponsable du bâti (ICEB), un lieu essentiel pour échanger sur des retours d’expérience, où je croise des gens qui font bouger les lignes : des architectes, mais aussi des ingénieurs, des programmistes, des AMO… C’est devenu une véritable famille.

Une majorité de vos projets portent sur des écoles. Est-ce le fait d’une orientation délibérée, d’un projet qui en entraîne un autre ?

E. P. : Il y a cet effet pervers des marchés publics pour lesquels l’une des conditions pour être retenu est de présenter des références de même nature. En l’occurrence, même si j’aimerais concevoir d’autres typologies de bâtiments, les bâtiments d’enseignement, en tant que lieu accueillant les générations futures sont porteurs d’enjeux essentiels et un formidable terrain de jeu pour y répondre. Nous avons aussi conçu une base de loisirs aquatique, une maison d’entreprises, un foyer pour autistes, une médiathèque…

L’agence a été et reste précurseur sur les modes constructifs, les matériaux biosourcés, le « low tech »… Avez-vous le sentiment que les évolutions réglementaires vous facilitent le terrain vis-à-vis des maîtres d’ouvrage ?

E. P. : La réglementation avance et c’est une bonne chose. Mais, si c’est « plus facile » aujourd’hui, notamment sur tout ce qui peut participer à réduire la consommation énergétique, cela tient aussi beaucoup à la réalité, par exemple celle de la guerre en Ukraine.
La réglementation, c’est la voiture balais. On continue d’avoir besoin de défricheurs qui inventent des solutions. Et c’est précisément ce que j’aime…

Quelle approche avez-vous du traitement des ouvertures ?

E. P. : J’aime beaucoup les longues fenêtres toutes en longueur, à la Le Corbusier : elles éclairent la pièce et orientent différemment le regard. Sinon, pour avoir beaucoup travaillé avec les ingénieurs thermiciens sur l’efficacité de la façade, je n’aime rien tant que les façades industrielles où cette efficacité dicte l’esthétique de la répartition des ouvertures. La façade est un ouvrage complexe comme la peau, lié comme elle à ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur.
À mes débuts, je dessinais trop d’ouvrants. En travaillant pour des écoles, pour des maisons de retraite, j’ai compris l’importance de penser aux protections à prévoir sur les baies : protections solaires, protections aux intempéries, aux risques d’intrusion ou même de défenestration pour permettre leur ouverture en toute sécurité. L’ouverture est un sujet passionnant, qui influe tellement sur l’esthétique de l’ouvrage ! Je pense qu’il n’est plus possible de faire des façades totalement vitrées – ou comble du paradoxe, des façades vitrées protégées derrière des résilles fixes !

Quant à leur matériau, je ne suis pas une monomaniaque de l’un ou de l’autre, même si nous utilisons souvent du bois-aluminium ou du bois. Sur l’un de nos premiers chantiers, j’étais très fière des menuiseries en bois de pays fabriquées par un menuisier local, et plutôt déçue lorsque j’ai appris qu’il envoyait laquer ses châssis en Espagne… Je suis parfois choquée de voir certains bâtiments mettre au rebut des fenêtres au bout de 15 ans. Il serait intéressant de considérer une logique de réemploi, qui adapteraient les fenêtres déposées à des espaces n’ayant pas les mêmes exigences de performances…

Avec l’album Rester cool, fraîcheur sans climatisation*, vous jouez sur les bulles pour faire passer le message… Comment est venue l’idée de cette BD ?

E. P. : Elle a d’abord été imaginée à l’usage du service immobilier d’un de nos projets qui souhaitait un outil pédagogique grand public pour convaincre les occupants. Nous avons fini par le diffuser au sein de la collection Lanceur d’avenir de l’ICEB. J’aimerais bien en faire un dans le même esprit sur les énergies grises…

Lire l’interview :

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